Nigeria : de la publicité dans le bois sacré
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Nigeria : de la publicité dans le bois sacré
dimanche 14 septembre 2008, par Jean-Christophe Servant
Exaucez vos voeux avec l’alcool Seaman ! Pour Bolaje Alalade, responsable de la
publicité de cet alcool à bon marché vendu sur les marchés nigérians, le Seaman est la
boisson par excellence dès lors qu’il s’agit de faire des libations aux dieux du panthéon
Yoruba (Andrew Walker, « Marketing ’killing Nigerian festival’
[http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/7593852.stm] », BBC News, 8 septembre 2008).
Logique, donc, que cette marque soit devenue l’un des principaux sponsors (avec la
bière Star et la compagnie de téléphonie mobile MTN) du festival d’Osun-Osogbo,
dans le sud ouest du Nigeria, au coeur du Yorubaland, l’une des trois principales
ethnies d’une fédération qui en compte des centaines.
Dédié à Osun, qui est dans la cosmogonie Yoruba la déesse de la fertilité, des eaux et
de la vie, ce pèlerinage réunit chaque fin août des milliers de personnes, dont de plus
en plus d’Occidentaux, sur les bords de la rivière du même nom, au coeur de l’une des
dernières zones de forêt primaire subsistant au sud du pays : 75 hectares de bois sacré
abritant sanctuaires, sculptures et oeuvres d’art magiques dédiées à Osun, mais aussi
riches en plantes médicinales et rituelles. Toutes les villes Yoruba avaient jadis leurs
forêts sacrées, zones vierges réservées aux cultes des dieux.
A la différence des autres sanctuaires, démonisés et saccagés au cours de la première
moitié du XXe siècle à l’occasion de radicales campagnes de conversions initiées par
les prêtres, pasteurs et imams (les 22 millions de Yoruba comptent tout autant de
chrétiens que de musulmans), le site d’Oshogbo a survécu. Jusqu’à être classé en 2005
au Patrimoine mondial de l’Unesco [http://whc.unesco.org/fr/list/1118/] grâce à
l’incessante lutte menée par l’artiste autrichienne Suzanne Wenger. Cette initiée au
panthéon des esprits yoruba entretient depuis 1957 la forêt sacrée. « Elle n’avait rien
retenu d’elle-même, elle s’était en fait elle-même trouvée. Elle se fit initier à la
prêtrise de la déesse de la rivière Oshoun, dont elle entreprit d’orner le bois sacré de
sculptures saisissantes, parfois contestables, aidée par un cercle d’artistes locaux
qu’elle rassembla peu à peu autour d’elle. Ensemble ils transformèrent le bois en l’un
des lieux de méditation les plus forts et les plus étranges du pays », se souvient le
prix Nobel de littérature Wole Soyinka, lui-même yoruba, dans ses mémoires, Il te
faudra partir à l’aube, parues au printemps 2008 aux éditions Acte Sud.
Mais aujourd’hui, la publicité et les sponsors sont entrés dans le bois. Comme,
d’ailleurs, depuis le retour en 1999 d’un gouvernement civil à Abuja, et la relance du
tourisme national, dans les grands festivals traditionnels
[http://onlinenigeria.com/festivals/] rythmant l’année nigériane. Il faut de l’argent
pour attirer les touristes étrangers et contribuer au rayonnement international de la
foisonnante culture nigériane, expliquent les pragmatiques. Mais les puristes
foisonnante culture nigériane, expliquent les pragmatiques. Mais les puristes
s’inquiètent de cette modernisation : les esprits d’Osogbo sauront-ils s’accommoder du
marketing ?
Suzanne Wenger n’a pas tranché. A 94 ans, la « sorcière blanche » s’est retirée de
l’organisation du pèlerinage d’Osogbo. Mais que peut penser une dame qui n’hésitait
pas jadis à interdire à son cercle d’initiés nigérians de fréquenter les classes d’école,
« sous peine d’être transformés en chrétiens » ? « Suzanne déteste ça », raconte l’un
de ses proches dans le passionnant article paru sur le site de BBC Afrique, toujours à
la pointe en matière d’informations sociétales remontées du Nigeria. « C’est parce
qu’elle est vieille et qu’elle ne peut plus se battre contre de telles pratiques que cela
arrive » (Andrew Walker, « The white priestess of ’black magic’
[http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/7595841.stm] », BBC News, 10 septembre 2008).
La société nigériane qui vend le festival aux sponsors, Infogem, s’était chargée au
début des années 2000 de relancer l’image nationale de Coca-Cola dans le pays, sur
fond de lutte planétaire menée contre son challenger Pepsi. Le patron de cette agence
de communication, Ayo Olomuko, peut aujourd’hui se frotter les mains : plus de
200 millions de nairas (soit 1,2 millions d’euros) de sponsoring auront été levés pour
l’édition 2008 de ce pèlerinage.
Au-dessus de tous les dieux, un seul prime au Nigeria : l’argent.